jeudi 15 novembre 2007

Inde - Enigmus Canadiensis

Jaisalmer


Les déplacements sont souvent sources d’attente. Voilà pourquoi moi et mes compagnons de voyage jouons régulièrement au jeu des énigmes. Certaines sont plus faciles que d’autres, la plupart sont loufoques. Toutefois, elles ont toutes un point en commun, elles activent nos neurones aux moments opportuns. Chers lecteurs, il est temps de jouer avec vous. Je vais vous poser une énigme. Celle-là même qui a occupé mon esprit pendant plusieurs heures. Prêts ? Allons-y !

Un canadien se ballade à travers un pays pauvre (prenons aléatoirement l’Inde…). Il rencontre des mendiants de tout acabit : des vieillards aveugles, des femmes aux membres rongés par l’infection, des enfants affamés, des mères aux bébés inanimés, etc. Depuis des semaines, il côtoie la misère humaine. Soudain, il croise une gamine s’amusant à lancer un pauvre chiot. Celui-ci, blessé, boite péniblement vers un lieu plus sûr. Cette scène arrache le cœur de ce canadien. Il sent une douleur, une tristesse qui dépasse le malaise éprouvé devant les mendiants. Comment expliquer cette réaction disproportionnée ? Ce canadien est-il un monstre ?

Voici donc l’énigme qui m’a fait énormément réfléchir ces derniers temps. Je vous la soumets, je vous demande d’y penser à votre tour. Peut-être pouvez-vous m’aider à trouver une réponse. À plusieurs, nous ne parviendrons peut-être pas à la solution mais nous pouvons nous y en approcher. Dans quelques jours, je vous offrirai le fruit de ma propre réflexion. D’ici là, j’espère lire ici-bas vos hypothèses. J’espère plus simplement vous faire méditer. En terminant, je vous donne un seul indice supplémentaire : je pense bien connaître ce canadien et il n’a rien d’une bête insensible…

Un chien en Inde ressemble en tout point à son lointain cousin canadien. Il aboie, il donne la patte, il court après les chats, il zigne… Il pourrait être le vôtre, il pourrait être le mien. Il en va bien autrement des êtres humains qui peuplent ce pays fabuleux. La majorité semble provenir d’un autre univers, un monde auquel je n’appartiens pas, que je ne saisis pas tout à fait. Il y a donc un fossé entre cette personne et moi. D’autres vêtements, d’autres mots, d’autres gestes. Se crée alors un détachement face à cet être avec lequel j’ai peine à m’identifier. Dans ce décor complexe et impénétrable qu’est l’Inde, ces gens s’ajoutent aux nombreux éléments incompréhensibles pour l’étranger que je suis. Je ne parle pas ici de tous les Indiens. En effet, il en va bien autrement des petits hôteliers, des restaurateurs, des marchands et des guides touristiques qui côtoient constamment les Occidentaux et avec qui on partage une même langue, les mêmes habits et souvent le même humour. La réflexion faite ici haut concerne principalement les mendiants. Ces derniers ne parlent pas anglais mais n’ont-ils pas les mêmes espoirs, les mêmes peurs ? Pourquoi alors un tel détachement ? Après tout, eux aussi mangent, aiment, rient, pleurent, rêvent et… mendient.

Le chien ne mendie pas. Il ne tend pas la patte pour quelques roupies. Il ne cherche pas à mettre à profit sa condition miséreuse. En Inde, la mendicité m’apparait comme un sordide spectacle. On a cette impression d’être au théâtre : le décor, les comédiens, les costumes, on pourrait presque voir le maquillage… Les mises en scène les plus tragiques sont certainement les plus payantes. On assiste quotidiennement à un prodigieux freak show. Résultat, on ne voit plus le drame qui véritablement s’y joue. Car même si le rideau tombe en fin de soirée, il n’en reste pas moins que les comédiens vivent dans la rue, affamés, dénudés, brisés. Leur propre misère, voilà tout ce qui leur reste à mettre à profit. Peut-on vraiment leur en vouloir ? Je ne connais pas la conclusion de ce triste spectacle. Je ne peux me résoudre d’encourager cette sombre industrie théâtrale. Je décide de ne pas y prendre part, les roupies resteront dans ma poche jusqu’au prochain serveur, garçon de chambre ou conducteur de pousse-pousse.

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