vendredi 7 décembre 2007

Inde - Les larmes du Gange

Varanasi

Assis sur les abords du Gange, je vois la boue, les déchets, les eaux souillées. Sur certains ghats à Varanasi, tous les jours de l’année, à toutes les heures de la journée, on y brûle des corps. Pour un hindou, y être incinéré représente bien plus qu’un honneur, c’est une bénédiction.



Assis sur les abords du Gange, je vois les cadavres recouverts d’un linceul fleuri, les bûchers enflammés, les nuages de cendres. Tout près, je vois des hommes, que des hommes. Certains sont de la famille des défunts, les autres, encore moins chanceux, sont attitrés à cette tâche ingrate qu’est la crémation des corps. Ils font partie de ces fameux Intouchables. Il est parfois difficile de distinguer les deux groupes, l’absence d’émotion caractérise aussi bien les uns que les autres. Les hommes parlent, rient, discutent au téléphone cellulaire, pissent, se décrottent le nez, se grattent la poche, un peu plus loin, ils jouent au cricket. C’est l’Inde quoi !

Assis sur les abords du Gange, je vois la vie, mais je ne comprends pas. Je vois les cadavres qui brûlent, la chair qui fond, les bras qui se raidissent, les doigts qui se crispent, les jambes qui s’élèvent, les visages qui partent en fumée, les corps qui deviennent cendres.



Assis sur les abords du Gange, je vois la mort, mais je ne comprends pas. Je vois les chèvres brouter les parements fleuris des cadavres, les chiens qui attendent patiemment, les touristes qui s’approchent un peu trop.

Assis sur les abords du Gange, je vois mais je ne comprends pas. Et puis, un bruit, un sanglot se fait entendre. Un homme s’approche en pleurant. Accompagné, il descend au fleuve, gémissant de plus en plus fort. Désespéré, il s’effondre dans la boue, aux pieds d’un des cadavres, celui de sa jeune épouse partie trop vite. Le visage entre les mains, il pleure bruyamment. Il retire ses chaussures, descend dans le Gange, se penche pour prendre de l’eau dans le creux de ses paumes, s’asperge le visage, il pleure abondamment. Il regarde au loin, sur l’autre rive, se demandant surement pourquoi. Il reprend de l’eau et dans un geste sacré, il en dépose sur le visage de sa bien-aimée. Il s’éloigne en sanglotant, sa douleur est immense, incapable de le supporter, ses jambes flanchent, il s’écroule à nouveau sur le sol boueux. La main sur ses épaules, ses amis tentent de le réconforter. Rien à faire, cet homme pleure. Parmi ces centaines d’Indiens inflexibles, il m’apparait comme une bouffée d’air frais. Lui, je le comprends. Il pleure, il se sent surement bien seul. Pourtant, je pleure avec lui.



Assis sur les abords du Gange, je pleure. Cet homme me touche droit au cœur et me réconcilie, l’espace d’un instant avec l’Inde. Ce pays que je traverse depuis trois mois et que je ne saisis toujours pas. Dans cet endroit d’horreur, la douleur et l’humanité de cet Indien sont d’une beauté déconcertante.

Assis sur les abords du Gange, je pleure, couvert de cendre, vivant et heureux.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Varanasi mon amour,
varanasi mon coup de coeur,
la ville ou j'aurais pu rester des semaines...
celle qui m'a accueilli comme si elle m'avait enfanter....

j'ai adoree mon petit sejour dans cette ville, j'y est ressenti pleins de choses que je ne peux décrire et que j'ai ressenti dans aucunes des autres villes....

et puis l'inde est indefinissable...on ne finit jamais d'être surpris....elle nous etonne à chaque coin de rue....

j'aime...j'en reste nostalgique...