mardi 20 novembre 2007

Inde - La naissance du quatrième monstre

Jaisalmer

Roupies, school pen, chocolat. Il est difficile d’entrer en contact avec les enfants défavorisés de l’Inde sans qu’un seul de ces trois mots surgisse. On s’approche, on leur sourit, on leur demande leur nom… rien à faire, la communication semble se limiter à ces trois articles. On peut facilement imaginer la curiosité des enfants envers les étrangers il y a trente, vingt ou dix ans.

Que s’est-il passé ? L’historien diplômé que je suis va tout vous expliquer.
Il y a fort longtemps, les quelques voyageurs parcourant le pays bénéficiaient de formidables relations avec les enfants croisés sur leur route. Les conversations mimées, les sourires gratuits, les fous rires inexpliqués, les rapports authentiques, les rencontres devaient être tout simplement magiques. Il y a disons… 30 ans (1), un de ces touristes (2), remplie de bonnes intentions, posa un geste tout simple mais o combien lourd en conséquences. À la suite d’une belle rencontre, elle laissa à un enfant une pièce d’une roupie.

Le jour, la semaine, le mois suivant, un second touriste débarqua au village du jeune garçon. Encore une fois, fabuleuse expérience : sourires, rires, jeux et puis l’étranger s’éloigne. À la toute dernière seconde, le gamin se rappela de la pièce si gentiment offerte lors de la rencontre précédente. C’est alors qu’il prononça bien innocemment le mot « roupies ». Le premier monstre était bien involontairement né. Obtenant encore une fois une pièce, il répéta le geste, l’expliqua à ses copains, si bien que rapidement tous les enfants de l’Inde connaissaient la recette. C’est alors que les relations changèrent, l’authenticité, la curiosité, tout cela revêtit de moins en moins d’importance. Au cours d’une conversation, le mot « roupies » tardait de moins en moins. Il vint même à devancer le « Namaste » d’usage. Parfois, il le remplaça totalement. L’étranger avait beau sourire, poser des questions, marcher sur les mains, l’enfant répétait inlassablement le mot. « Ce riche étranger a l’air gentil, il me donnera bien une roupie ou deux ! » se dit-il.

Il y a environ 20 ans, un autre étranger (3) attentionné arriva en Inde. Elle en était à son second voyage dans ce fabuleux pays et elle était nostalgique du temps où le mot « roupies » ne venait pas tout détruire. Pour établir à nouveau un lien particulier avec les enfants et concernée par le taux d’analphabétisme, elle décida d’apporter des crayons (4). La découverte se propagea aussi vite chez les étrangers à la recherche d’un contact authentique que chez les enfants. Si bien qu’au mot « roupies » s’ajouta celui de « school pen », le second monstre avait été engendré. Rapidement, ni les pièces ni les crayons ne suffirent plus. Le fossé devint de plus en plus large entre ces enfants et les voyageurs.

Il y a plus ou moins 10 ans, l’Inde reçu la visite d’un autre étranger inventif (5). Voulant franchir ce fossé, il apporta avec lui une denrée drôlement plus efficace que des crayons : du chocolat. Le résultat était probant. Les mots « roupies » et « school pen » étaient toujours présents mais les barrières tombèrent à grands coups de Kitkat et de barre Mars. Toutefois, les effets furent bien temporaires et le manège se répéta : le troisième monstre, sucré mais tout aussi terrible, avait vu le jour. Ainsi, tous les enfants indiens adoraient la sainte trinité : roupies, school pen, chocolat.

D’après de très récents rapports, à l’instant même que j’écris, un étranger (6) inventif et lui aussi fort bien intentionné, se promène en Inde en offrant des Polaroids aux enfants. À son tour, il participe à cette image de l’étranger pourvoyeur qui tue toutes possibilités d’échanges. Bien que sa nouvelle technique fonctionne rondement, il est en train d’enfanter le quatrième monstre. La prophétie veut heureusement que dans 10 ans, un nouvel étranger viendra en Inde à la rencontre des enfants. Il n’apportera avec lui, ni roupies, ni crayons, ni chocolat, ni polaroid. Dieu seul sait ce qu’il apportera (7), mais espérons simplement que cette fois, les barrières tomberont avec autres choses que de menus objets de pacotilles (8).


1 : Après tout, l’Histoire n’est pas une science exacte.
2 : Les historiens croient qu’il s’agissait d’une touriste espagnole résidant à Barcelone.
3 : D’après de récentes études archéologiques, il s’agirait d’une américaine de l’Orégon.
4 : Pas n’importe quels crayons, des crayons pour l’école.
5 : La dendrochronologie nous laisse croire que ce touriste était de nationalité française, plus précisément de la région de Chamonix.
6 : La datation au carbone 14 nous révélera un jour qu’il s’est déjà nourri chez un certain Mr Patates et chez Ali-Baba.
7 : Si seulement le canadien le savait !
8 : Et si le plus beau présent, c’était simplement le don d’un peu de son temps. Et si le secret était de jouer avec eux au cricket…






4 commentaires:

Anonyme a dit...

Et bien, moi qui me sentais mal, lors de mes voyages, de ne rien donner (ou à peu près) à mes hôtes ! Je t'avoue que, suite à ce partage, cela me rassure un peu. Je vais poursuivre ma façon de faire avec un peu moins de culpabilité.

Je continuerai à offrir mon temps et un contact humain réel. Ce qui me grandit à chaque fois.

Merci !
Nad xx

Anonyme a dit...

Mec, l'intention compte. Certe, tu crée des attentes chez ces petits... et alors! Tu offres aussi quelque chose qu'ils n'auraient jamais eu si ce n'était de ta générosité d'occidental. Beaucoup de tes semblables ont du passer par là en prennant beaucoup... tout en rendant très peu.

Garde la foi (venant d'un athé c'est pas peu dire!). Je pense, qu'à très petite échelle, c'est un peu de bien que tu fais.

Ciao dude!

Anonyme a dit...

Cher Olivier,

En lisant ce texte, tu es venu me chercher. Je suis, de ces étrangers, qui ont causé des petits monstres. J'étais remplie de bonnes intentions, mais aujourd'hui tu m'as donné la recette.
Tu es un grand sage et je t'en remercie.

Je t'embrasse,

Maman Nicole

Anonyme a dit...

O.K j'embarque pour la confession de groupe;
-Je m'appelle Magalie
-Bonjour Magalie!!!! (que vous répondez en coeur...)
-Je viens aujourd'hui pour vous avouer avoir aussi encouragée les
'onedollarmonsters' mais...avec des balounes de toutes les couleurs tout de même... et du savon à bulles!!!

Nous croyons changer un peu le destin de ces enfants que nous rencontrons quelques minutes...la vérité c'est que nous nous faisons plaisir avant tout par ces gestes.
Merci pour tes réflexions.