dimanche 10 février 2008

Thailande - Naa Phan et les femmes girafes

Chiang Khong

Existe t-il des dragons en Asie ? Voilà ce que je tente de vérifier avec l’aide de mon neveu Vincent. Certains événements récents ont précipité de l’avant les recherches. En effet, il y a plus de quatre semaines, j’ai parlé de ma quête à un vieil homme rencontré dans le village de Mae Sariang, au nord de la Thaïlande. Amusé ou intrigué par mon intérêt pour cet animal légendaire, il m’a offert un bout de papier déchiré sur lequel on pouvait lire de bien drôles de lettres. Il me dit simplement que l’écriture employée est fort ancienne et que le texte me mènerait un peu plus près d’une réponse. Ne faisant ni une ni deux, je demandai de l’aide à Vincent, un jeune et brillant dragonologue. Je lui envoyai donc par courriel le mystérieux texte. Deux semaines plus tard, mon intuition était confirmée, l’alphabet utilisé était celui des dragons et Vincent m’en envoyait la traduction complète. Quelle efficacité !!! Voici ce que le texte raconte :

Dans le village de Mae Hong Son, on raconte qu’une dragonne habite dans les montagnes de la région depuis fort longtemps. Elle s’appelle Naa Phan et elle est d’une beauté exceptionnelle. Plusieurs légendes existent à son endroit. On dit qu’elle est la mère des Padaung, le peuple des femmes girafes. Pour vous y rendre, le chemin est assez complexe mais je peux vous….



Il n’en fallait évidemment pas plus pour que je mette le cap sur Mae Hong Son. Voyageant toujours avec Karine, Annick et Chantal, je n’allais pas vivre seul cette aventure. Pour nous guider à travers la jungle et les montagnes de cette région, nous avons engagé un guide. En discutant de mon projet avec lui, il me dit qu’il connaissait bel et bien ces histoires de dragons et de femmes girafes mais qu’il ne croyait ni à l’une ni à l’autre. Des rêveries de grands-mères disait-il. Malgré tout, il accepta de nous y conduire.

La veille du départ, inquiété par des nuages plutôt gris, je lui demandai si il fallais apporter nos vêtements contre la pluie. Il me réconforta en me disant qu’il ne pleuvait jamais en ce temps de l’année. Je ne sais pas à quoi j’ai pensé, mais je lui ai fait aveuglement confiance…

Après une très belle journée de marche sous un soleil de plomb, nous arrivions à un premier village, notre camp de base pour notre expédition. Sans trop de succès, j’ai tenté de faire quelques portraits d’enfants. Les habitants semblent plutôt réservés dans la région. Le soir venu, autour du feu, notre guide nous expliqua qu’il avait fait sa petite enquête auprès des villageois. Ces derniers lui avouèrent qu’ils n’avaient jamais osé pénétrer dans le territoire de la belle et puissante Naa Phan. Ils lui révélèrent tout de même les indications pour y parvenir. Pour conclure, les habitants nous conseillèrent de brouiller nos pistes en faisant un bout de chemin à dos d’éléphant. Génial ! Une promenade dans la jungle sur Dumbo, l’aventure se poursuit à merveille.



Le lendemain matin, dès le réveil, j’ai vite compris que la journée allait être longue et pénible. Il pleuvait abondamment. À cet instant, je regrettais amèrement de ne pas avoir apporté mon coupe-vent. Partout au village, le sol était boueux et glissant. Les déplacements allaient être difficiles. Tout à coup, la ballade à dos d’éléphant ne semblait plus aussi magique. Juchés sur le mastodonte, Chantal et moi étions fort inconfortablement assis. L’inconfort provenait de plusieurs facteurs. Évidemment, la pluie. Trempés et immobiles, la chaire de poule et la mâchoire qui claque, mon corps m’envoyait des signaux plutôt clairs. L’inconfort venait aussi du siège. Mes articulations me le confirmaient, les petits bancs en bois n’étaient pas conçus pour les falangs de grandes tailles. Finalement, il est difficile de se sentir totalement à l’aise lorsqu’on est perché à cinq mètres du sol sur un animal aussi lourd. La bête, hésitante devant chaque dénivelé, n’appréciait pas les conditions routières. C’est tout juste si on ne voyait pas un panneau arborant deux traits en « S » surmontés d’un éléphant. Parfois, le pachyderme glissait, mon cœur arrêtait soudainement de battre pendant quelques secondes. Si il fallait que l’éléphant se renverse sur le dos, l’ambassade canadienne aurait beaucoup de boulot afin de retirer nos corps enfouis sous une tonne de boue.



Il n’avait qu’un seul moyen d’échapper à cet inconfort : penser à autre chose. Chantal et moi discutions donc de n’importe quoi pour nous changer les idées : le boulot à la maison, les quiz télés, les potins artistiques. Bref, de quoi nous occuper l’esprit ! Finalement, après près de deux heures, notre calvaire était terminé. La jungle se faisant de plus en plus dense, les éléphants ne pouvaient aller plus loin. La distance nous séparant du village allait se faire à pieds. Cela constituait une merveilleuse nouvelle car qui dit marche, dit effort physique, dit réchauffement du corps.

Tel que prévu, bien que toujours trempé jusqu’aux os, la température corporelle augmenta rapidement. C’était maintenant notre tour d’être hésitants face aux pentes abruptes. L’accumulation de boue sous nos chaussures en augmentait sensiblement le poids et par extension l’effort physique déployé à chacun des pas. Nous avons donc progressé lentement pendant de longs kilomètres. Mais tous ces efforts ont été récompensés. Sur le chemin nous avons trouvé un immense tas de merde !!! Fort de la mauvaise expérience indienne, j’utilisai avec prudence mon thermomètre afin de relever la température de cette impressionnante fiente. Le résultat s’est avéré bien proche de celui de Dharamsala : 61 degré Celsius. L’analyse future de ces données me révélera peut-être de nouveaux indices J’en profite d’ailleurs pour demander à Vincent s’il peut investiguer davantage sur la signification de ces résultats.



Peu de temps après cette découverte, nous sommes arrivés au mystérieux village de Mae Hong Son. Nous y avons rencontré les fameuses femmes girafes, celles qui sont, d’après la légende, les filles de la belle Naa Phan. Compte tenu que nous ne connaissions pas exactement leur relation avec la dragonne, notre guide a cru bon de rien dire de nos intentions dans la région. Ce peuple d’une extrême gentillesse nous a invité à dormir avec eux pour la nuit. Nous étions les premiers étrangers à visiter leur bourgade depuis fort longtemps.



Le lendemain matin, après quelques photos de ces femmes girafes, nous avons mis le cap sur les montagnes des alentours. Nous nous sommes d’abord dirigés vers un pic à la forme étrange. Après tout, les dragons n’ont sûrement pas l’habitude d’habiter de banales collines. Nous avions vu juste car à peine à mi-chemin du sommet, nous arrivions à l’entrée d’une gigantesque grotte. La cavité était énorme, je n’avais jamais rien vu de tel. Un petit temple décoré d’un bouddha doré trônait au centre. Des dizaines d’offrandes de toutes sortes avaient été déposées tout autour. À qui étaient destinés tous ces cadeaux ? J’avais bien évidemment une idée là-dessus, mais je ne voulais pas sauter trop vite aux conclusions. Armés de nos lampes frontales, nous nous sommes enfoncés dans les ténébreux couloirs. Je dois vous avouez que le niveau d’adrénaline était à son comble.



Aussi étrange que cela puisse paraître, j’étais excité et non pas apeuré. À travers toutes les légendes, Naa Phan n’a jamais vraiment montré d’agressivité contre les humains. Comme la plupart des dragons, elle protège son trésor des voleurs. Ce sont uniquement ces derniers qui doivent redouter son courroux, pas les petits aventuriers comme moi qui ne cherche qu’à vérifier son existence. Pour échapper aux ennuis, les dragonologues savent bien que l’on doit éviter à tout prix de prendre les dragons en photos. Vincent m’a souvent expliqué qu’ils ont horreur de cela. Comme je tiens à la vie, j’ai pris la sage décision de respecter cette règle. Je ne voudrais surtout pas conclure hâtivement ce périple en Asie en faisant l’objet d’un barbecue.



Quoi qu’il en soit, je n’ai pas pris de photos car tout simplement je n’ai rien vu qui puisse ressembler à un dragon. J’aurais bien aimé vous dire que j’y ai rencontré la légendaire dragonne mais je ne pousserais pas l’audace jusque là… La grotte quoique spectaculaire était bel et bien vide lors de notre passage. Naa Phan n’était donc pas à la maison. C’est normal après tout, elle était peut-être au boulot, en vacances, à l’épicerie, chez le dentiste… Avec un peut d’imagination, les possibilités sont infinies. Il ne faudrait tout de même pas en tirer des conclusions hâtives. L’absence de preuve ne signifie pas la preuve de l’absence. Je poursuivrai mes recherches à travers les prochaines contrées à parcourir. Cette enquête, tout comme mon périple asiatique, me prouve une chose, le plaisir réside rarement dans l’atteinte de l’objectif ou de la destination, le bonheur se trouve plutôt sur le chemin, comme dans la chanson de Félix...

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