lundi 17 mars 2008

Cambodge - Un peu de Zak parmi eux

Phnom Penh

Six mois déjà que je suis parti, ma maison sur le dos. 182 jours de pures découvertes et de surprises. 398 heures passées en mouvement. Cinq pays explorés. Des centaines de villes parcourues. Des milliers d’êtres humains rencontrés. Des millions d’images imprimées dans ma mémoire. 172 polaroids offerts à des enfants. Quarante textes publiés sur mon blog. Un seul rêve, toujours le même.

En prenant l’avion vers Delhi le jour de mes 29 ans, j’avais déjà marqué certaines dates à mon calendrier. Certains lieux ou rendez-vous me faisaient déjà saliver : l’arrivée des filles à Rishikesh, mon séjour à dos de chameaux dans le désert du Thar, la visite du Taj Mahal, le tour de l’Annapurna, le jour de l’an à Ko Lanta, la visite d’Angkor Wat… Parmi tous ces moments appréhendés, il y en a un qui sortait du lot : ma mission à Phnom Penh pour le petit Zakary-Deka. Pour ceux qui l’ignorent encore, cette belle histoire a débuté peu avant mon départ, en août dernier. J’ai reçu ce courriel :


Bonjour Olivier,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'article à ton sujet dans la Seigneurie il y a déjà quelques mois. J'ai trouvé ton projet de voyage tripant pour le voyage lui-même, pour ton projet souvenirs d'enfance et plus particulièrement pour les pays d'Asie du sud-est que tu visiteras.

J'ai eu la chance d'aller au Cambodge deux fois il y a 4 ans pour aller y chercher mon fils adoptif. Un merveilleux petit garçon qui venait compléter notre famille de trois enfants (deux filles bio. aussi).
Quelques mois après son arrivé au Québec, nous avons entrepris des démarches afin de retrouver sa famille biologique (sa mère, un frère et une soeur) afin d'obtenir des photos et plus d'informations sur ses origines et ça a marché! Nous aimerions reprendre contact avec eux mais il nous est impossible de le faire par la poste puisqu'ils habitent un village en banlieue de Phnom Penh.
Avoir de leurs nouvelles et donner des nôtres nous rassurerait. J'ai pensé à toi et ton projet souvenirs d'enfance... Alors si ce défi t'intéresse et que tu trouves qu'il entre dans ton projet je te donnerai plus de détails, toutefois j'espère que tu te sentiras des plus à l'aise de me répondre honnêtement peu importe ta décision. Je suis consciente aussi que même si tu acceptes, tu dois te sentir libre de changer tes plans en cours de voyage.

Merci d'avoir pris de ton temps précieux de préparatifs pour me lire et bon voyage!!!

Magalie



Comment pouvais-je refuser une telle demande ? J’appréciais particulièrement la lucidité avec laquelle Magalie m’a approché. Je ne sentais aucune pression, je demeurais maître de mes déplacements. Dès le départ, ce projet m’a emballé. Il s’agissait de l’occasion idéale afin de sortir des sentiers battus, de rencontrer la population locale, d’échanger avec elle. De plus, ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de donner un certain sens à son voyage. Je ne me souviens plus si je vous l’ai dit, mais je pense que voyager est un acte purement égoïste. Voilà une belle occasion de prouver le contraire. Enfin, cette mission m’excitait particulièrement puisqu’elle comportait des éléments de mystère, des variables inconnues, un caractère d’imprévisibilité, une possibilité d’échec…


Avant mon départ, j’ai donc rencontré Magalie, Christian, Zak et ses deux sœurs Anouchka et Loukia. Ils m’ont gentiment invité à leur table pour un délicieux repas cambodgien. Ensuite, ils m’ont alors transmis des photos et un texte à remettre à la mère biologique. Pour faciliter mes recherches, ils m’ont donné une photographie de la famille à retracer ainsi que le nom du village, de la commune, du district et de la province. Ces renseignements, je les ai précieusement conservé jusqu’à mon arrivée au Cambodge. Pour être franc, je n’ai jamais envisagé de retirer ce pays de mon itinéraire. Les trésors d’Angkor et la visite de Phnom Penh représentaient des incitatifs de poids auquel la mission venait simplement s’ajouter.


Dès mon arrivée dans la capitale, j’espérais me procurer une carte des environs afin de connaître le lieu de mes recherches. Malheureusement, les premières cartes trouvées n’étaient pas assez précises. La seule information que j’en tirais était la vaste étendue de la province de Kandal. Rien d’encourageant, la dite province est énorme, je devais absolument circonscrire le lieu de mon enquête. Les jours ont passé, toujours pas de plans détaillés de la région. Le propriétaire de notre Guest House parlait un excellent français mais connaissait trop peu les environs pour m’aider adéquatement. Il se demandait bien ce qui justifiait tant d’efforts. En lui expliquant, j’ai senti que la motivation l’avait gagné à son tour. Un appel téléphonique plus tard, nous connaissions l’emplacement du district. Bonne nouvelle, c’était bel et bien relativement près de la capitale. Toutefois, le district était toujours trop vaste pour tenter une recherche aléatoire à travers la cinquantaine de villages.

Le jour même, alors que je faisais quelques achats de souvenirs aux marchés, je tombai sur une carte de la fameuse province de Kandal, avec ses districts, ses communes et ses villages… J’avais enfin trouvé ma carte, la situation n’était pas vraiment propice à une ferme négociation avec le marchand. La partie n’était pourtant pas gagnée, aucun village ne correspondait au nom de « Rumcheng Krom ». Me voilà bien embêté ! Parmi les cinq villages de la commune de Puk Ruessei, celui de Puk Ruessei Kraom constituait un choix logique. Tout ce qui me manquait, c’était quelqu’un pour m’y emmener. Je vous évite les détails mais je dirai simplement qu’il n’est pas facile d’obtenir les services d’un chauffeur de motocyclette honnête, prudent et qui se débrouille sommairement en anglais. Celui que j’ai finalement déniché n’avait décidément pas un baccalauréat en traduction, mais il semblait honnête. Il ne se démarquait pas particulièrement des autres cambodgiens de par sa méthode de conduite, il roulait en maudit fou !!! Afin de rassurer ma mère et ma sœur, sachez que je portais un casque protecteur. Enfin, je crois…




Après des milliers de dépassements interdits, des centaines de manœuvres dangereuses, des dizaines de kilomètres parcourus sur une route cahoteuse et une traversée du Mékong en ferry, nous arrivions tout près de la destination. Je sentais l’excitation m’envahir, les papillons avaient gagné mon estomac. C’était finalement aujourd’hui le grand jour. Celui que j’avais si souvent tenté d’imaginer. Assis sur la moto, je m’aperçu que cela faisait exactement six mois que j’étais parti, nous étions le 17 mars. Comme le hasard fait parfois bien les choses !

En traversant ces villages où aucun touriste ne va, je provoquais la surprise et l’étonnement. Je me sentais observé et épié mais je me sentais d’abord fort privilégié de vivre ces moments. En arrivant au village ciblé précédemment, le travail de mon chauffeur était désormais pratiquement terminé. L’entente était claire, il trouvait la bourgade, je trouvais la famille. À moi de jouer ! Photos à la main, j’approchais les habitants en espérant qu’ils puissent reconnaître un visage. Tour à tout, les tentatives s’avéraient infructueuses. Je n’aurais sans doute pas eut moins de réaction si j’avais présenté la photo de la famille Adams. Aux villages voisins, les résultats étaient tout aussi négatifs. Les échecs successifs me rappelaient l’ampleur du défi. Je sentais que mon chauffeur n’y croyait plus. À cet instant, pour une des rares fois, j’ai douté. Et si c’était impossible ! Et si je n’y arrivais pas !

Heureusement, le doute a fait place l’espoir lorsque finalement, au milieu de nulle part, un homme fait mine de reconnaître quelqu’un sur la photo. Il s’avère que ce monsieur est le professeur d’anglais du coin. Sa connaissance de la langue de Shakespeare est meilleure que celle de mon chauffeur mais il pourrait quand même bénéficier de quelques séances de perfectionnement chez 254-6011. L’enseignant prétend pouvoir nous amener chez la famille. Et hop, en moins de deux, nous sommes maintenant trois sur la moto (désolé de vous décevoir mais maintenant que ça me revient, je peux confirmer que je ne portais pas de casque protecteur…). D’ailleurs, au Cambodge, aucune loi ne stipule un nombre maximum de passagers sur un véhicule à deux roues (j’ai déjà croisé un scooter transportant cinq personnes !).



Dix minutes plus tard, nous quittons le chemin principal pour nous faufiler dans une ruelle menant vers le fleuve. Et puis, le professeur nous pointe une demeure. La moto n’a même pas le temps de s’arrêter que déjà des gens sortent de la maison. Les visiteurs se font rares ici. La photo à la main, je débarque et m’approche du groupe réuni au pied de la porte. « Sophea ? » C’est elle, ça y’est ! Je la reconnais.



Rapidement, on me fait entrer à l’intérieur. Presque toute la famille est déjà là : Sophea, son fils Rosa (frère de Zak), sa mère (enfin, je crois), sa sœur et beaucoup d’autres que je n’ai pas pu identifier. Je sens bien que tous sont surpris et excités. Tous les regards sont portés vers moi et vers mon sac que j’ouvre devant eux. J’en sors une lettre que je tends aussitôt à Sophea. Elle la tend au professeur qui la lit à haute voix. Totalement muette, la foule écoute attentivement la lecture du message. Nul besoin d’être très sensible pour ressentir l’émotion qui remplissait la demeure. Une fois la lecture terminée, j’offre le petit album photos. Soigneusement, Sophea regarde les clichés un à un. Tout le monde est épaté. À la vue de certains portraits, ils se parlent et s’échangent des commentaires. Ils apprécient notamment les photos de Zak jouant au soccer. Pendant toute la durée de ma visite, l’album passe de mains en mains, les pages sont continuellement tournées. Il est clair pour moi que personne n’a oublié le petit Zakary-Deka.

Reconnaissants, ils nous offrent un repas (cambodgien, rien d’étonnant). Mon chauffeur et moi sommes les seuls à manger. Est-ce un tradition khmère ou est-ce seulement qu’ils s’étaient déjà nourris plus tôt ? Je ne serais dire. Quoi qu’il en soit, six mois ont passé, des milliers de kilomètres ont été parcourus, pourtant, la scène se répète. Je suis assis à la table de l’autre famille de Zak et je me sens extrêmement privilégié d’y être. Malheureusement, juste avant le repas, le professeur d’anglais nous avait quitté, ses élèves l’appelaient ! Bien dommage, car en se faisant, je perdais le seul interprète digne de ce nom. J’ai bien des questions, mais la communication est ardue. Après plusieurs minutes d’explication, je comprends que l’ancienne maison a été endommagée lors d’une forte pluie. Dans une pièce contiguë, ils me montrent deux métiers à tisser, outils essentiels à leur subsistance.



Tel que planifié depuis longtemps, je souhaitais profiter de ma visite dans ce village afin d’offrir quelques Souvenirs d’enfance. Comme toujours, les enfants sont magnifiques. Nous avons également pris quelques photos afin d’immortaliser ce moment et ainsi offrir de nouveaux portraits de famille à Zak. D’abord, Sophea, le petit Rosa et moi. Malheureusement, Srey Pich, la grande sœur de Zak, était à l’école alors elle ne figure pas sur les portraits.



Le moment était venu de repartir. Quand on voyage, on est habitué aux départs. Cette fois-ci, c’était bien différent. Je pouvais sentir une certaine tristesse. En quittant, je détruisais le pont Montréal-Phnom Penh momentanément créé par ma présence. Pendant un instant, ils ont repris contact avec Zak. J’espère que ce texte permettra à ce dernier de faire le processus inverse. Les nouvelles et les photos que je lui rapporte ne sont-elles pas le plus beau Souvenir d’enfance que je puisse offrir ? En quittant, je pouvais également ressentir une immense gratitude. Les centaines d’akon, les salutations respectueuses, les sourires débordant de reconnaissance, tous ces petits gestes traduisaient un grand bonheur. Existe-t-il meilleur moyen pour dire merci ?


Souvenirs d’enfance

5 commentaires:

http://asiedusudest2008.uniterre.com a dit...

bravo!!!!!

c emouvant ce que tu as fais
surtout pour la famille de zak et pour zak lui même!
quand j'étais en inde, on avait également la même mission "retrouvé un couple rencontrè l'année passée par des amis"!
c'était une super experience avec des hauts et des bas..mais à la fin ont été également heureux d'avoir créer ce pont entre deux pays!
magique!!!!
tout a ton honneur olivier!!!

Anonyme a dit...

Bonjour! Ici, Greg et Marie, les voyageurs qui ont accompagne les pas d'Olivier au Laos et au Cambodge, ces dernieres semaines... Pour avoir assiste aux preparatifs de cette belle mission (la recherche du village perdu sur toutes les cartes de Phnom Penh, la fabrication de l'album photos, les discussions sur le choix du mode de transport...), nous ne sommes que plus heureux de lire le recit de cette journee emouvante, et d'en voir les photos. A l'evoquer depuis si longtemps avec toi, on en avait presque autant envie que toi.. Dommage que nos itineraires se soient separes juste a ce moment la...
On attend de te recroiser, bientot, sur les routes du Nepal ou de la Chine..
Sokdee,

M et G

Anonyme a dit...

Salut Olivier,

Mille fois bravo! C'est tout un voyage que tu fais là, mais ce texte est de loin le plus beau.
Continue à triper et à être notre embassadeur.

Dominique a dit...

Wow Olivier!
Je t'ai toujours connu comme un gars au grand coeur mais ça c'ets du grand Olivier! Vraiment touchant! Continue de profiter au maximum de ces moments extraordinaires...merci de nous en faire bénéficier un peu, c'est toujours un plaisir de te lire!
Do
xx

Magalie a dit...

Olivier,

En plus d'avoir été généreux, tu as été tenace et faut-il le mentionner; courageux. Il est risqué de sortir des sentiers battus au Cambodge et ce n'est pas qu'une image...J'avoue m'être souvent demandé si je mettais ta vie en danger en te faisant pareille demande. Je pensais surtout au mines même si j'avais confiance que tu serais des plus prudents.
Je suis si heureuse du dénouement de cette rencontre avec la famille biologique de notre fils et que tu y ait trouvé un peu de 'ta' course autour du monde...
Comme tu l'as si bien dit c'est un souvenir d'enfance inestimable que tu offres à Zak. C'est un véritable morceau de puzzle de plus dans son histoire et c'est trés précieux!
Akoun, akoun et akoun...

Magalie